Le corps humain, ressources de l’innovation de demain?

5 octobre 2023

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Peau, urine ou cheveux seront-ils les ressources de demain ? C’est en tout cas le pari que fait le secteur de l’innovation en proposant de changer de regard sur nous-mêmes.

Le 1er janvier 2023, New York devenait le 6e état américain à autoriser la transformation du corps après la mort. Un accord légal donné pour permettre l’utilisation du corps comme compost pour les jardins. Cette technique appelée réduction naturelle du corps a notamment pour objectif de réduire l’empreinte environnementale des funérailles. Recycler les déchets du corps humain pour en faire des ressources, c’est une idée qui fait aussi son chemin en Europe, et notamment en France.

Recyclage à la source, ou comment transformer le corps humain en ressources

« En France, 4000 tonnes de cheveux sont jetées par an. Il y a 2 fois plus de coiffeurs que de boulangeries selon lUNEC». C’est le constat posé par Clément Baldellou, cofondateur de la startup Capillium. C’est dommage, surtout quand on sait que les cheveux ont des propriétés lipophiles. En d’autres termes, ce sont des éponges à corps gras, comme les hydrocarbures polluants ou les huiles. « On a identifié différents secteurs d’utilisation comme la dépollution des eaux et des sols, la cosmétique, grâce à l’extraction de la kératine, ou encore l’agriculture durable, puisque l’on transforme les cheveux en paillages 100% biodégradables ».

Et les cheveux ne sont pas les seuls produits issus du corps qui peuvent avoir une utilité dans le cadre de la transition écologique. « On utilise l’urine humaine pour cultiver des bactéries que l’on transforme en engrais naturels», explique Michael Ross, fondateur et président de la startup Toopi. Si certains produits du corps ont une durée de vie longue, d’autres comme la peau peuvent aussi être réutilisés plus rapidement : « On réutilise les peaux issues du surplus de chirurgie esthétique pour les tests médicamenteux. Non seulement, ça remplace les tests sur les animaux, mais en plus ça apporte des données plus fiables, et donc des médicaments plus fiables, car on teste directement sur des cellules d’origine humaine ».

Une filière à inventer de toute pièce

Les produits issus du corps humain sont des déchets recyclables d’un nouveau genre. Il a donc fallu créer des filières adaptées. Et qui dit création de filière, dit construction d’usines pour pouvoir soutenir la production et la transformation des matières, création d’un réseau de distribution pour les débouchés mais aussi mise en place d’un système de collecte en amont. « On s’est rendu compte que pour motiver les coiffeurs, il fallait leur mettre à disposition des kits de recyclages clé en main avec sacs, bacs et kits de communication », explique Clément Baldellou, cofondateur de Capillum. Pour ce type de matériaux, la collecte à la source est indispensable. « On a un partenaire qui loue des toilettes sèches pour des événements. Ça nous permet de récolter l’urine directement à la source », explique Michael Ross, fondateur de Toopi. Une méthode qui permet de récolter une quantité industrielle de matière. « Depuis cet été, on a collecté plus de 370 000 litres d’urines dans 16 festivals, dont 70 000 litres rien que sur les 3 jours de la fête de l’Humanité. On se déploie aussi lors d’événements sportifs comme la coupe du monde de Rugby qui a lieu actuellement ». Même constat Clément Baldellou de Capillum « Actuellement, on collecte 10 tonnes de cheveux par mois ». Un système qui leur permet également de diminuer les coûts sur l’ensemble de la chaîne.

Le corps humain, une économie circulaire rentable ?

Si des innovations de ce type ont un avantage non négligeable en termes d’empreinte environnementale, une question revient systématiquement : est-ce rentable ? « Il fallait que ce soit moins cher pour le client final tout en étant beaucoup plus écologique. Surtout quand on s’adresse à des agriculteurs qui te posent d’abord la question du prix » explique Michael Ross, fondateur de Toopi. « En agriculture conventionnelle, ils ont besoin de 300 kg de base azotée, ça représenterait 30 000 à 50 000 litres d’urine si on l’utilisait brut. Ça coûterait trop cher en logistique. Donc, en utilisant notre méthode de culture de bactéries, on passe à 2 litres par hectare. Ce qui permet de diminuer de 30% à 50% la quantité d’engrais phosphatés minéraux utilisés et ça revient moins cher qu’un engrais minéral pour le client ». Rendre le produit final accessible en termes de prix, c’est la base. Pour autant, avec l’évolution des réglementations autour de la transition écologique, un autre paramètre entre aujourd’hui en ligne de compte, le coût du traitement des déchets. « Quand j’ai rencontré Matthieu, qui loue des toilettes sèches, il me disait que son problème, c’était de jeter l’urine qu’il récoltait parce que ça lui coûtait très cher entre le transport et le traitement ensuite derrière » explique Michael Ross, fondateur de Toopi. Même constat du côté de Genoskin « En temps normal, les laboratoires utilisent des animaux. Au-delà du problème éthique que ça pose, ça coûte aussi extrêmement cher de traiter les cadavres d’animaux qui peuvent causer une pollution » affirme Pascal Descargues.

Pour assurer le développement de la filière, il fallait donc réussir à convaincre les utilisateurs. « Quand on va voir les organisateurs d’événements pour leur proposer l’installation, bien sûr, ils la payent. Mais entre les subventions qui réduisent le prix de 20% à 80% et le retour de long terme du fait qu’ils n’utilisent plus d’eau, au final, c’est rentable pour eux ». La rentabilité sur ce type de projet se calcule donc à une plus large échelle, sur l’intégralité de la chaîne de valeur. Parfois discutée sur le plan éthique ou rappelant de sombres épisodes de l’histoire humaine, l’utilisation des produits et déchets du corps humain, est aujourd’hui une perspective sérieuse.

La réglementation et l’éthique, frein ou encadrement utile à l’innovation ?

Il faut dire que pour de nombreuses raisons, qu’elles soient éthiques ou sanitaires, les utilisations des produits issus du corps humain sont aujourd’hui encadrées, en France, par une réglementation précise et complexe, notamment le Code civil et le Code de la santé publique. Longtemps sacralisé, le corps conserve une valeur qui rend presque impossible sa commercialisation. Seule la science peut déposséder un donneur du droit de possession sur son propre corps.

Toutes les parties du corps ne font pas l’objet de la même surveillance. Les parties dites utiles comme les organes, le sang ou encore les gamètes sont sous le coup d’une réglementation très stricte figurant au livre II du Code de la Santé publique. Pour ce qui est des parties moins utiles à la médecine comme les cheveux ou l’urine, leur utilisation reste encadrée. « L’obtention des autorisations peut prendre plusieurs mois, voire plusieurs années en fonction du produit du corps qui est exploité. En France, c’est le délai le plus long et c’est plus dur à obtenir », explique Michael Ross, fondateur et président de Toopi.

Si ce type de solutions pouvait se heurter aux réticences, il y a encore 5 ans, les mentalités évoluent pour Pascal Descargues, fondateur et CEO de Genoskin : « Il y a une vraie évolution du regard que l’on porte sur ce type d’innovation surtout quand en parallèle on a des enjeux de biodiversité ou d’extinctions d’espèces. De plus en plus de gens s’intéressent à cette question de l’éthique ».

L’utilisation des produits du corps humain est aujourd’hui une perspective qui a le vent en poupe, a fortiori dans un contexte de raréfaction des autres ressources.

Et pour d’autres innovations inspirantes, c’est par ici : climat.ai

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